samedi 11 octobre 2014

mérite

dans le discours dominant et déculpabilisé des nouveaux riches, des nouvelles classes moyennes, des néo-bourgeois miteux à l'âme incurvée, on entend souvent dire, non sans une certaine fierté, une certaine satisfaction de soi, une certaine suffisance, un convenu je n'ai pas à avoir honte de ce que j'ai... ou un suffocant ce que j'ai, je le mérite... effectivement, ils n'ont pas à avoir honte - j'en conviens : ils méritent certainement ce qu'ils ont, ils ont travaillé dur pour, ils ont travaillé dur pour pourrir chaque jour un peu plus l'humus sec et glacé de leurs objets innombrables et de leur matérialisme obscène - cependant, tout morts qu'ils sont, ils sont des morts nuisibles, car ils sont des morts utiles aux asservissements, ils sont des morts qui prennent encore parti pour l'esclavage -
quant au mérite, je suis plus réservé car, si on creuse un peu les discours creux, on entend aussi que ceux qui n'ont pas toutes ces richesses, ceux qui n'ont pas la chance de consommer et de pourrir, de pourrir en consommant, de pourrir tous les samedis dans le paradis des malls, ceux qui n'ont tellement pas cette chance qu'ils en crèvent parfois, on entend alors la petite mélodie que ceux-là ne le méritent pas... ceux-là certainement ne le méritent pas... tant il est vrai que le mineur, l'ouvrier, l'ouvrier agricole, le fonctionnaire (race maudite), le prof, l'éboueur, l'homme ou la femme de la ménage, la longue communauté des untermensch, ne méritent pas de vivre un tant soit peu décemment, c'est ontologique (après tout, ils n'entreprennent ni ne produisent), il ne manquerait plus que ces presque-hommes commencent à posséder ; ils n'avaient qu'à faire autre chose, mais n'en étaient pas capables et leur travail n'a pas de valeur, ceux-là n'ont pas car ils ne méritent pas... ils ont ce qu'ils méritent...
de même, celui qui est né au fin fond du gojam, éthiopie, dans une famille qui gagne moins d'un dollar par jour et qui sera sans destin, eh bien il n'a ce qu'il mérite, il n'avait qu'à se battre un peu contre l'adversité, il n'avait qu'à se faire violence au lieu d'accepter son sort - sous le discours du mérite, il y a la violence glacée du les autres ne le méritent pas parce que j'ai mérité de naître dans un pays riche alors que mengesha naissait le même jour que moi dans le gojam, éthiopie, et si je ne suis pas bien riche à l'heure qu'il est parce que je suis piètre gestionnaire, mengesha est déjà crevé de faim en 1984 (loin du coeur et loin des yeux, de nos villes de nos banlieues...), ou avant ou après, et s'il vit encore (mais le mérite-t-il au fond ? il me dégoûte un peu mengesha, dans sa paresse et son manque de vouloir-vivre), il est déjà vieillard à quarante ans, alors que moi, je mérite le soin du visage que je vais aller me faire, avant mon soin des pieds et après mon soin du prépuce... 
si nous avons ce que nous méritons, alors l'humanité crevante n'a que ce qu'elle mérite, c'est le beau discours des libéraux, des démocrates, des méritocrates -  c'est un discours admis, décomplexé, c'est un discours ignorant et nombriliste.

post-scriptum :
deux remarques pour finir : c'est précisément la classe moyenne des cadres que va happer les néo-libéraux après avoir avili la classe ouvrière, et elle ferait bien de se réveiller de ce doux rêve de paradis dans lequel elle vit...
et j'entends le gargouillis de tous les damnés, les laminés, les meurtris, les balayés, les sodomisés de l'existence - le gargouillis se rapproche et fait trembler notre petit pot de conscience...

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